Henri de Régnier

La cité des eaux

Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066084455

Table des matières


DU MÊME AUTEUR
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
A JOSÉ MARIA DE HEREDIA
LA CITÉ DES EAUX
LA LOUANGE DES EAUX, DES ARBRES ET DES DIEUX
LE SANG DE MARSYAS
QUATRE POÈMES D'ITALIE
FUNÉRAILLES
ODE ET POÉSIES
LA PLAINTE DU CYCLOPE
PAN
INSCRIPTIONS LUES AU SOIR TOMBANT
L'HOMME ET LES DIEUX
ÉPILOGUE

PARIS SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE

XV, RVE DE L'ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV

MCMII

DU MÊME AUTEUR

Table des matières

Poésie

PREMIERS POÈMES 1 vol.
POÈMES 1 vol.
LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS 1 vol.
LES MÉDAILLES D'ARGILE 1 vol.

Roman

LA CANNE DE JASPE 1 vol.
LA DOUBLE MAÎTRESSE 1 vol.
LE TRÈFLE BLANC 1 vol.
LES AMANTS SINGULIERS 1 vol.
LE BON PLAISIR 1 vol.

Littérature

FIGURES ET CARACTÈRES 1 vol.

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:

Table des matières

Cinq exemplaires sur japon impérial, numérotés de 1 à 5;
Vingt-neuf exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 6 à 34
Et trois exemplaires sur chine, marqués A. B. C.

JUSTIFICATION DU TIRAGE:

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y compris la Suède, la Norvège et le Danemark.

A JOSÉ MARIA DE HEREDIA

LA CITÉ DES EAUX

Table des matières

Versailles, Cité des Eaux.

MICHELET.

SALUT A VERSAILLES

Celui dont l'âme est triste et qui porte à l'automne
Son coeur brûlant encor des cendres de l'été,
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne
De votre solitude et de votre beauté.

Car ce qu'il cherche en vous, ô jardins de silence,
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas
Poursuit en vain l'écho qui toujours le devance,
Ce qu'il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n'est pas

Le murmure secret de la rumeur illustre,
Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux,
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre,
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux;

Il ne demande pas qu'y passe ou qu'y revienne
Le héros immortel ou le vivant fameux
Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine
Fut l'astre et le soleil de ces augustes lieux.

Ce qu'il veut, c'est le calme et c'est la solitude,
La perspective avec l'allée et l'escalier,
Et le rond-point, et le parterre, et l'attitude
De l'if pyramidal auprès du buis taillé;

La grandeur taciturne et la paix monotone
De ce mélancolique et suprême séjour;
Et ce parfum de soir et cette odeur d'automne
Qui s'exhalent de l'ombre avec la fin du jour.

* * * * *

O toi que l'aube effraie, ô toi qui crains l'aurore,
Et que ne tentent plus la route et le chemin,
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore
Qui parle avec des voix de soleil ou d'airain.

C'est là que l'homme fait sa boue et sa poussière
Pour élever son mur autour de l'horizon;
Mais toi, dont le désir n'apporte plus sa pierre
Au travail en commun qui bâtit la maison,

Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu'elle plie,
L'épaule et dont les bras sont propres aux fardeaux,
Se construire sans toi les demeures de vie
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux.

* * * * *

L'onde ne chante plus en tes mille fontaines,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois!
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois!

La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue
Et le temps a terni sous le souffle des jours
Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue
Royale et souriante en tes jeunes atours.

Tes bassins endormis à l'ombre des grands arbres
Verdissent en silence au milieu de l'oubli,
Et leur tain qui s'encadre aux bordures de marbre
Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui.

Qu'importe! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux;
Et je ne monte pas les marches de l'histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux.

Il suffit que tes eaux égales et sans fête
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,
Sans que demeure rien en leur noble défaite
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.

Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,

Pourvu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine,
Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau,
J'entende longuement ta dernière fontaine,
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux!

LA FAÇADE

Glorieuse, monumentale et monotone,
La façade de pierre effrite au vent qui passe
Son chapiteau friable et sa guirlande lasse
En face du parc jaune où s'accoude l'Automne.

Au médaillon de marbre où Pallas la couronne,
La double lettre encor se croise et s'entrelace;
A porter le balcon l'Hercule se harasse;
La fleur de lys s'effeuille au temps qui la moissonne.

Le vieux Palais, miré dans ses bassins déserts,
Regarde s'accroupir en bronze noir et vert
La Solitude nue et le Passé dormant;

Mais le soleil aux vitres d'or qu'il incendie
Y semble rallumer intérieurement
Le sursaut, chaque soir, de la Gloire engourdie.

L'ESCALIER

Toute la Gloire avec le glaive et l'étrier,
Et la terre qui saigne et la mer qui écume,
Le feutre balayant le parquet de sa plume,
La Puissance et l'Amour, la rose et le laurier,

De ce songe royal et de ce bruit guerrier,
Soleil d'or qui s'efface ébloui dans la brume,
Il ne reste que l'oeuvre anonyme et posthume
Du marteau d'un sculpteur dans le bloc du carrier;

Et le marbre du buste arrogant et romain,
Sans yeux pour regarder et pour prendre sans mains,
Se dresse taciturne et solitaire, au haut

De l'escalier qui garde à ses marches tassées,
Dans le porphyre roux, la trace sans écho
Du pas sanglant encor des Victoires passées.

PERSPECTIVE

Le cuivre du trophée et le bronze du buste
Juxtaposent l'or jaune et la patine verte;
Le carquois se suspend près de la corne ouverte,
Cérès en fleurs sourit à Diane robuste.

Le parquet de bois clair mire la fresque inverse
Où trône le Héros que la Victoire illustre;
L'éclair silencieux rôde de lustre en lustre,
Et le soleil s'irise au cristal qu'il traverse.

Le glorieux Passé, nu sous son laurier d'or,
Par les fenêtres, voit se refléter encor,
Dans l'échiquier verdi des portes de miroirs,

Le lys mystérieux du jet d'eau, et, votifs,
Dressant sur le ciel clair leur double bronze noir,
Le cippe d'un cyprès et la stèle d'un if.

L'ODEUR

Si tu songes l'Amour, si tu rêves la Mort,
Si ton miroir est trouble à te sourire, écoute
Les feuilles, feuille à feuille, et l'onde, goutte à goutte,
Tomber de la fontaine et de l'arbre. Tout dort.

La rose de septembre et le tournesol d'or
Ont dit l'été qui brûle et l'automne qui doute;
Le bosquet s'entrelace et la grotte se voûte,
Le dédale et l'écho te tromperaient encor.

Laisse l'allée oblique et le carrefour traître
Et ne regarde pas à travers la fenêtre
Du pavillon fermé dont la clef est perdue.

Silence! L'ombre est là; viens respirer plutôt,
Ainsi que les hermès et les blanches statues,
L'amère odeur du buis autour des calmes eaux.

LE BASSIN ROSE

Si le jet d'eau s'est tu dans la vasque, si l'or
De la statue en pleurs au centre du bassin
S'écaille sur la hanche et rougit sur le sein,
Si le porphyre rose en l'onde saigne encor;

C'est que tout, alentour, s'engourdit et s'endort
D'avoir été charmant, mystérieux et vain,
Et que l'Écho muet dans l'ombre tend la main
Au Silence à genoux auprès de l'Amour mort.

L'allée est inquiète où l'on ne passe plus;
La terre peu à peu s'éboule du talus;
La porte attend la clef, le portique attend l'hôte,

Et le Temps, qui survit à ce qu'il a été
Et se retrouve toujours tel qu'il s'est quitté,
Fait l'eau trop anxieuse et les roses trop hautes.

LE BASSIN VERT

Son bronze qui fut chair l'érige en l'eau verdie,
Déesse d'autrefois triste d'être statue;
La mousse peu à peu couvre l'épaule nue,
Et l'urne qui se tait pèse à la main roidie;

L'onde qui s'engourdit mire avec perfidie
L'ombre que toute chose en elle est devenue,
Et son miroir fluide où s'allonge une nue
Imite inversement un ciel qu'il parodie.

Le gazon toujours vert ressemble au bassin glauque.
C'est le même carré de verdure équivoque
Dont le marbre ou le buis encadrent l'herbe ou l'eau.

Et dans l'eau smaragdine et l'herbe d'émeraude,
Regarde, tour à tour, errer en ors rivaux
La jaune feuille morte et le cyprin qui rôde.

LE BASSIN NOIR

Laisse le Printemps rire en sa gaîne de pierre
Et l'Hiver qui sanglote au socle où il est pris
Jusqu'au torse, et l'Été, grave en ses noeuds fleuris,
Près de l'Automne nu qui s'empampre et s'enlierre;

Laisse la rose double et la rose trémière
Et l'allée à dessins de sable jaune et gris
Et l'écho qui répond au rire que tu ris,
Et viens te regarder dans une eau singulière.

Elle occupe un bassin ovale et circonspecte;